De l'utilité des parasites

Publié le par aclcla

1. Le parasite n'a pas bonne presse. N'importe quelle définition trouvée rapidement sur internet vous le dira : le parasite vit au dépens d'un autre, lui est superflu et génant. Ces êtres vivants sont donc la source au mieux d'un affaiblissement et au pire d'une maladie pour la malheureuse victime (l'hôte). C'est un être vil et digne de mépris, pire qu'inutile.

2. Ce n'est pourtant pas l'avis de tout le monde, Lucien de Samosate avait exprimé dans un fort joli dialogue (un poil second degré, le dialogue) l'idée que chez l'humain, le parasite pouvait remplir une fonction sociale, et devait déployer des trésors d'ingéniosité, assimilant de ce fait son activité à une forme d'art. Le parasite humain prends certe de l'argent à son mécène, mais il renforce l'aura de puissance du mécène aux yeux des autres humains...

Le biologiste qui travaille sur le non-humain ne porte pas de jugement de valeur, il se contente de constater des faits et de leur trouver une articulation logique. Le seul but de ce blog ne sera donc pas de se faire l'écho des préjugés populaires comme dans le paragraphe 1, ni de lancer de pseudo débats s'appuyant sur des références passées comme dans le paragraphe 2. Le but sera simplement de raconter des histoires rigolotes mais véridiques pour démonter les visions trops simplistes (ou alors juste parce que c'est marrant).


La pollinisation du cempedak (Artocarpus integer)

La "victime" :
Le Cempedak est un arbre proche du fruit à pain et du jacquier. Il porte de gros fruits comestibles, en plus de ses feuilles vertes et de ses branches en bois, ce qui le rends intéressant aux yeux de la population de son aire d'origine : l'Asie du sud-est. C'est un arbre monoïque, qui porte donc des fleurs mâles et des fleurs femelles sur un même pieds mais séparées. Ce point a son importance pour la suite.

Parasite n°1 :
Un petit Zygomycete (une moisissure quoi) appartenant au genre Choanephora a la particularité de se développer dans les fleurs mâles de cet arbre. Il prélève bien évidemment tout ses aliments au dépends de l'arbre, ce qui confère à la fleur un aspect complètement moisi, et à la moisissure le statut incontestable de parasite. Regardez à quoi ressemble la surface de la fleur après ça :
bah oui, ça ressemble à de la moisissure de pain, normal, Choanephora appartient
à l'ordre des Mucorales, comme ladite moisissure, et est tout aussi moche.

Parasite n°2 :
Un petit Diptère (un moucheron quoi) appartenant au genre Contarinia a la particularité de se nourrir à l'état larvaire du champignon que l'on vient de voir. La larve se fixe sur un filament mycélien et lui pompe tout le liquide qu'elle peut, ce qui on peut le penser, emmerde profondément le champignon en plus de conférer au moucheron le statut de parasite. 
Des moucherons occupés à pondre des oeufs sur une fleur moisie
(vendeur comme titre de photo je trouve)

Scénario :
Le cadre étant posé, voyons voir qui fait quoi. C'est vite fait, seuls les moucherons sont mobiles donc susceptible de faire quelque chose directement dans notre histoire. Les femelles de ce moucheron, donc, sont des mères attentionnées, elles cherchent pour leurs larves des fleurs mâles riches en champignon. Problème : les fleurs mâles et femelles ont la même odeur ! Donc une fois sur deux, elles se plantent et atterrissent sur la mauvaise fleur. N'y trouvant pas de champignons, elles redécollent...

Ce qui n'est pour elles qu'une perte de temps mineure a une conséquence importante pour l'arbre : tous ces moucherons qui volent de fleurs mâles en fleurs femelles transportent du pollen (sans faire exprès) ! Le moucheron est le pollinisateur naturel de l'arbre dans les forêts de Bornéo.

Vue au microscope électronique d'un bout du moucheron.
C'est certe pas très joli, mais on voit bien les grains de pollen (les petites boules)


Raisonnement et conclusion :
Dans ce cas précis,
- l'arbre a besoin du moucheron pour se reproduire.
- Le moucheron a besoin du champignon pour se nourrir.
- Le champignon a besoin de l'arbre pour se nourrir.

Par conséquent, l'arbre a besoin du champignon (son parasite) pour se reproduire.
CQFD


Source :
American Journal of Botany 87(3): ARTOCARPUS (MORACEAE)–GALL MIDGE POLLINATION MUTUALISM MEDIATED BY A MALE-FLOWER PARASITIC FUNGUS. 440–445. 2000.

Publié dans Parasites !

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A
"Ponte d'oeufs sur fleur moisie" : vendeur effectivement comme titre, ahah !...
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